Esprit critique - Revue électronique de sociologie
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Vol.04 No.01 - Janvier 2002
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Numéro thématique - Hiver 2002
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La criminologie: genèse, auteurs et histoire: ou le récit d'une discipline en devenir
Sous la direction de Pascal Cojean
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Articles
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De la psycho-criminologie au profilage
Par Michèle Agrapart-Delmas

      Il y a, en France, chaque année presque 4 millions de faits constatés de délinquance et de criminalité. Ces chiffres sont en hausse régulière depuis quelques années, avec une augmentation importante de la petite délinquance et des infractions aux stupéfiants, une évolution qualitative de ces derniers, notamment plus d'infractions de vols (téléphones mobiles entre autres) et des escroqueries (à la carte bleue), un rajeunissement important de l'âge des délinquants, une féminisation de la violence et une montée en puissance des comportements de plus en plus agressifs. Les actes de torture et de barbarie deviennent presque monnaie courante.

      Si, en matière d'homicide les chiffres sont à peu près stables (autour de 1500 homicides volontaires avec ou sans préméditation chaque année), on constate en revanche une explosion des crimes de viols, incestes et surtout de pédophilie. Presque 50% des verdicts de cour d'assises concernent des agressions sexuelles, la moitié est constituée par des viols de mineurs par un proche familial (500 condamnations par an pour viols et 1120 pour agressions sexuelles sur mineur).

      1 détenu sur 5 est un agresseur sexuel.

      Ces chiffres donnent une idée de la charge actuelle de la justice. Nous sommes quotidiennement confrontés à cette insécurité, à cette violence, cette délinquance, cette criminalité. Et les experts judiciaires spécialistes du comportement humain collaborent à la criminologie.

      L'enseignement, les travaux avec les différents services d'enquêtes, police et gendarmerie, ont tout naturellement amené certains experts à une autre collaboration avec les magistrats cette fois, dans des rôles d'assistance à certaines auditions, de recherche commune sur des liens victimologiques étonnants ou d'études spécifiques de dossiers que les professionnels nomment "étude psycho-criminologique du dossier X...", que la grande presse appelle "profilage" et qui ne sont qu'une infime partie du travail de certains experts judiciaires, spécialistes du comportement humain.

      Et la réalité en la matière est bien loin des fantasmes médiatiques, des belles blondes qui ont des flashs, des visions, des prémonitions et qui résolvent les énigmes policières en 52 minutes... Cependant chaque semaine en voit surgir sur une chaîne de télévision, dans un magazine ou un quotidien, voire par la publication d'un ouvrage dont certains relèvent de la fiction totale ou de l'affabulation, des "profilers" à la vocation soudaine, dont certains ne sont pas des spécialistes du comportement humain, d'autres n'ont jamais rencontré d'auteurs ou de victimes, d'autres enfin recopient sans vergogne "les affaires criminelles" traitées par d'authentiques spécialistes et dont ils ont pu lire par ailleurs la narration de l'expertise ou du profilage.

      Le plus extraordinaire consiste à pirater un ouvrage américain, à récupérer des informations sur le Net ou des expertises de criminels effectuées par d'authentiques professionnels, et après coup faire coller le comportement destructeur des auteurs, dûment reconnus coupables lors de leur procès, avec un profilage "bidouillé" à posteriori sur des concepts pseudo-analytico-criminologiques et de s'attribuer le mérite de l'élucidation du dossier dans le plus grand mépris des magistrats instructeurs et des enquêteurs.

      Car le profilage est un concept mal défini dans lequel se sont engouffrés un certain nombre de gens, avec plus ou moins de bonheur, une démarche à visée lucrative et médiatique et parfois une expérience limitée à la vision des feuilletons américains.

La criminologie

      La criminologie, "science du crime, ou étude scientifique du phénomène criminel" est une science qui comme toute approche humaine n'est pas exacte et connaît une perpétuelle évolution, puisque point de rencontres de nombreuses disciplines, elle en suit les progrès. Elle recouvre de nombreuses sciences criminelles et criminologiques. Ainsi, l'une de ses constituantes, la criminalistique (ensemble des sciences et des techniques utilisées pour établir des faits matériels) a connu avec la mise en évidence des empreintes digitales au début du siècle dernier, l'entrée de la chimie, de la physique, de l'informatique dans les laboratoires de police scientifiques, une évolution considérable. Actuellement la recherche de la signature d'un auteur par l'identification de son ADN et la comparaison de celui-ci avec un fichier (encore en voie de constitution) apportent des preuves irréfutables de sa culpabilité, preuves qui tendent à renvoyer au second plan les autres démarches de recherche criminelle. C'est ce qui est utilisé en "profilage".

      On voit que la criminologie va inclure la médecine légale, la police scientifique et technique, la psychologie générale, criminelle, carcérale, etc. auxquelles s'ajoutent le droit, la sociologie pénale influencée par le politique.

      On peut donc conclure que le contenu même de la criminologie fait qu'elle n'est pas en elle-même une science unitaire, exacte, mais un faisceau de sciences et de connaissances dont certaines sont plus des approches empiriques que vraiment scientifiques.

      La criminologie est née en Italie à la fin du XIX ème siècle. La publication en 1876 de l'ouvrage de Lombroso "L'homme criminel" où il évoque le criminel-né, comme si tout de sa vie, de ses actes, de son histoire criminelle était déjà écrit avant la naissance.

      On date à 1885 avec Garofalo et "La criminologie" en 1885, le départ de cette science.

Qu'est ce que la criminologie, quel est son objet?

      Jusqu'à la fin de la dernière guerre mondiale, les travaux ont surtout porté sur l'agresseur. C'est ce que l'on nomme "l'agressologie", science du délit et du délinquant, de l'auteur. En ce domaine les publications sont considérables. Puis en 1946 Von Hentig parle de "victime" et ce sont les balbutiements de l'autre versant de la criminologie "la victimologie" puis de l'analyse de ce qui a relié, ne fut-ce qu'un instant la victime à l'auteur le "lien victimologique".

      Les écoles sont multiples, s'opposent, s'affrontent, chacune détenant bien entendu la vérité mais aussi se complètent et s'enrichissent mutuellement.

La psycho-criminologie

      Actuellement il n'y a pas en France légalement de métier de "criminologue" ni de "profileur". Certains s'accordent cependant l'un ou/et l'autre titre(s). En revanche des chercheurs, des experts très éminents enseignent la criminologie mais comme toute personne de valeur, ont l'humilité de ne pas se nommer criminologues... d'autres enfin, ont ajouté la formation de criminologie à une connaissance antérieure.

      Ainsi sont nées autour de la criminologie, des spécialisations dans des domaines précis qui tous touchent au phénomène criminel. Les laboratoires de police scientifiques par exemple, emploient autant de professionnels qu'il existe de pistes de preuve scientifique

Que sont en fait les fonctions d'expert en psychologie criminelle et de profiler?

      Ces fonctions sont souvent confondues par le grand public et surtout les médias qui pensent qu'un expert judiciaire effectue 100 profilages par an.

      L'expert en psychologie criminelle est d'abord un psychologue clinicien dûment diplômé par une université. Les études de psychologie durent au minimum 5 ans et sont conclues par l'obtention d'un DESS, parfois complétées par un doctorat ou le passage dans un Institut de psychologie pratique dont les stages permettent de se former sur le terrain.

      L'habilitation comme "expert près une Cour d'Appel" en France est soumise à l'approbation des magistrats devant lesquels le postulant prêtera ensuite serment. L'expérience du psychologue va bien entendu être l'élément déterminant de son habilitation d'expert.

      Il est fortement conseillé pour les psychologues qui se destinent à une carrière de psycho-criminologue de suivre un minimum de formation juridique et si possible d'obtenir un diplôme de criminologie. L'institut de Criminologie de Paris permet d'acquérir cette connaissance, complétée quelques années plus tard par l'Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure (IHESI) dont l'enseignement d'une rare richesse aborde toutes les facettes de la sécurité.

      Des formations spécifiques notamment en matière de témoignages d'enfants abusés sont souvent proposées et l'école canadienne. Van Gijseghem fait autorité en la matière.

      Le métier d'expert judiciaire demande une grande écoute, une totale objectivité, du recul, une formation renforcée et aussi une longue expérience. Ce n'est qu'ensuite et avec modestie que l'on peut aborder ce que l'on appelle "le profilage".

      Le profilage est un ménage à 3: le juge, les enquêteurs et l'expert.

Michèle Agrapart-Delmas

Notice:
Agrapart-Delmas, Michèle. "De la psycho-criminologie au profilage", Esprit critique, vol.04 no.01, Janvier 2002, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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